I love the way you lie ft. Skye & Zephyr

Un soupir m'échappa alors que je sortais une cigarette de ma poche. Il était vendredi soir. Et comme la majorité des vendredis soirs, je devais me rendre chez mon meilleur ami afin que nous sortions ensemble boire quelques verres. Une sorte de rituel que nous avions depuis plusieurs années. C'était un moyen de décompresser après une semaine de cours, de s'amuser entre mecs. Ce jour-là, je devais me rendre chez lui pour le chercher - il m'avait prévenu qu'il serait en retard et il pensait que ceci nous permettrait de gagner un peu de temps ; nous serions ainsi plus rapidement dans notre bar favori. Habituellement, je me réjouissais de voir Erwan avec qui les sorties se faisaient de plus en plus rares. Cette fois pourtant, je redoutais le moment où je mettrais le pied chez lui. C'était la première fois depuis le flashforward. La première fois depuis que je m'étais vu dans un lit avec sa petite amie, Skye. Certes, je ne croyais pas à cette histoire - après tout, comment pourrions-nous voir le futur ? Ce n'était qu'un simple rêve, rien de plus. Je n'étais pas assez fou pour y croire.. Cependant, je ressentais quand même un certain malaise quant à cette histoire. J'étais bien amoureux de mon amie - je n'allais plus le nier, sauf à la principale intéressée et à son copain - mais je prenais ce rêve, cette divagation de mon esprit comme une trahison envers Erwan. Je mettais promis de ne plus penser à Skye, de l'oublier pour leur bonheur à tous les deux. J'en avais été incapable. Elle restait toujours là, dans un coin de mon esprit pour mon plus grand désarroi. Quand j'y pensais, je me rendais compte que j'étais bien trop faible lorsqu'il s'agissait de cette femme.
J'espérais silencieusement qu'elle ne soit plus dans son appartement lorsqu'elle arriverait. Je n'avais pas envie de la voir. Enfin si, je le voulais. Comme chaque fois que je me rendais chez eux. Mais d'un autre côté, je le redoutais. J'étais déjà mal à l'aise lorsque j'étais en sa présence après notre mariage et ce rêve n'arrangeait pas les choses. Cela serait insoutenable.
J'allumais ma cigarette et en pris une bouffée, histoire de me calmer. Cela faisait des années que je fumais - occasionnellement au début, puis finalement régulièrement. Je me sentais toujours plus fort une cigarette à la main. Plus calme. Maître de mon destin, en fait. Ce n'était qu'une illusion bien sûr, mais pour être honnête, cela me faisait du bien. J'avais l'impression d'avoir le contrôle totale sur ma vie.

J'avançais à pas lent dans les rues de Manhattan, priant - alors que j'étais athée - pour ne pas croiser celle que j'aimais, celle que je redoutais. Je ne croyais pas à ces histoires de flash. Pourtant, s'il s'agissait vraiment d'une vision du futur, Skye avait du avoir la même. Et cela, je ne le souhaitais pas. Notre relation - amicale, certes - semblait déjà assez compliquée comme ceci sans rajouter autre chose. Tout ceci depuis notre mariage, deux ans auparavant. Il n'avait duré qu'une nuit, certes. Mais je m'en souvenais comme si c'était hier. Du moment où nous l'avons découvert en tout cas, car en ce qui me concernait, je n'avais aucun souvenir de ce mariage. Le taux d'alcool dans mon sang était bien trop élevé. Bref, quoi qu'il en soit, Skye était heureuse avec Erwan, non ? Dans ce cas, je ne voulais pas de ce genre de relation avec elle. Si tout allait bien entre eux, ce "futur", comme ils disaient dans les journaux, n'avait pas lieu d'être.
J'arrivais devant l'immeuble et je m'arrêtais plusieurs secondes pour lever les yeux sur les fenêtres de l'appartement. Soupirant une fois de plus, je laissais tomber ma cigarette sur le sol - sans prendre la peine de l'écraser - et je pénétrais dans le bâtiment. J'appelai l'ascenseur et j'attendis patiemment que celui-ci arrive. Lorsque la machine arriva, j'annonçai l'étage au groom, qui appuya sur le bon bouton. Je me retrouvais finalement face à la porte de leur appartement.
Je ne sais pas combien de temps s'écoula entre le moment où j'arrivais devant la porte et celui où j'appuyais sur la sonnette. Quelques minutes. Un quart d'heure peut-être. Voire plus. La seule image de l'entrée de l'appartement avait ramené mon rêve à mon esprit. Ma chambre. Le soleil qui traversait les fins rideaux. Skye. Je chassais rapidement ces images de ma tête et je sonnais. Lorsque l'on vint m'ouvrir, je me retins de soupirer une nouvelle fois. Cette personne qui se tenait face à moi était celle que j'aurais voulu éviter à tout prix. Mon amie. Mon ex-femme. La copine de mon meilleur ami. Celle qui avait couché avec moi dans mon rêve, également. Skye. Ma gorge se serra et mon coeur fit un raté dans ma poitrine. « Salut » Je me passais une main dans les cheveux - tic que j'avais acquis depuis un certain temps - l'air le plus naturellement possible. « Erwan est prêt ? » Cette fois encore, j'espérais que sa réponse soit positive afin de quitter les lieux sans trop m'attarder. Je venais d'arriver et la situation était déjà pesante.

Pas grandiose, je ferais mieux la prochaine fois (a)

Skye avait passé la journée chez elle. La maison d'édition était fermée jusqu'à nouvel ordre, un incendie s'étant déclaré dans l'immeuble où les bureaux se trouvaient. Chacun était chargé de travailler depuis chez lui mais, au fond, qui pouvait ? Elle n'aurait eu aucun mal à citer dix personnes qui avaient perdu un proche dans cette histoire. Instinctivement, sa main se porta sur la bosse sur son front. Elle aurait pu avoir bien pire, être dehors à cette heure-là - comme elle aurait dû l'être en fait - traverser la rue, avoir été écrasée par une voiture. Un frisson la parcourut soudain. On aurait dit que le temps s'était suspendu après ce tragique événement. Même elle avait passé la journée la télévision allumée sur la chaîne d'informations nationale, comme si on allait rapidement désigner un coupable à qui faire payer toute cette histoire. Quelque part, elle espérait aussi qu'on leur explique ces visions que tout le monde ou presque avait eu. Les plus grands scientifiques étaient formels : on ne pouvait rêver en étant évanoui. C'était donc autre chose. Rapidement, on annonça que les gens semblaient avoir eu une vision de ce qui se passerait le 20 avril 2011, puisqu'apparemment plusieurs personnes avaient vu cette date. Cela mettait Skye terriblement mal à l'aise. Qu'est-ce que ça signifiait au juste ? Que d'ici six mois, elle serait prête à quitter Erwan ? Pour Zephyr ? Tout s'emmêlait dans sa tête et le pire, c'est qu'elle ne pouvait en parler à personne.

Elle était face à son ordinateur depuis deux bonnes heures maintenant et se confrontait à la plus grande peur de n'importe quel écrivain : la page blanche. Tout était si confus dans sa tête qu'elle n'arrivait pas du tout à canaliser ses pensées pour former une phrase correcte. L'histoire qu'elle écrivait était largement inspirée de sa vie et elle ne put s'empêcher de se demander si ses parents avaient survécu. Après une longue hésitation, elle tapa "Franck Ridgeway" dans la barre Google. Elle y trouva son parcours retracé, des articles dans lesquels il était cité mais rien qui n'indiquait sa mort ou celle de sa femme. Bizarrement, elle en fut rassurée sans que cela ne la soulage pour autant. Inutile de se leurrer, ce qui la tourmentait, c'était bien ce qu'elle avait vu. Dans un soucis d'exorciser tout ça, elle ouvrit un nouveau fichier et commença à raconter en détail ce qu'elle avait vu, ce que cela avait changé en elle. Elle réalisa soudain qu'elle voulait savoir ce qu'Erwan avait vu et que pour cela, elle devait lui avouer ce qu'elle avait vu. Leurs visions ne pouvaient tout de même pas changer leur futur... On frappa à la porte, la sortant de ses pensées. Elle alla ouvrir et vit face à elle la dernière personne qu'elle s'attendait à voir. Zephyr. Pourquoi était-il ici ?
"Salut" lança-t-il d'une voix faible.
Pour seule réponse, elle ne parvint qu'à lui sourire. Elle ne savait pas quoi faire, quoi dire, quoi penser. Elle aurait voulu qu'il ne soit pas venu frapper à sa porte, parce qu'elle craignait qu'ils aient tous les deux vu la même chose. Fort heureusement, il poursuivit aussitôt :
"Erwan est prêt ?"
Skye fronça les sourcils. Erwan lui avait dit qu'il travaillait tard et ne savait pas quand il rentrerait. Soudain son coeur se serra face à cette situation bien trop familière. Elle articula avec difficulté :
"Non, il n'est pas là. Il m'a dit qu'il travaillait tard..."
Bon dieu, est-ce qu'il la trompait encore ? Elle n'arrivait pas à y croire... Elle n'avait qu'une envie, c'était de courir vérifier s'il travaillait réellement. Parfois, elle ne se reconnaissait plus. Jamais elle ne se serait imaginée devenir jalouse doublée d'une paranoïaque. Mais Zephyr était là, elle ne pouvait décemment pas l'abandonner sur le seuil de la porte pour piquer une crise à son petit-ami. Elle sourit du mieux qu'elle le pouvait et ajouta :
"Faut croire qu'il t'a oublié. T'es là pourquoi au fait ?"
Tout en écoutant sa réponse, elle lui fit signe d'entrer. Elle le laissa s'installer dans le canapé et ferma son ordinateur portable en passant. Elle détestait qu'on puisse lire ce qu'elle avait écrit, à moins qu'elle ne le décide. Pire encore, ce truc n'était pas destiné à être lu, encore moins par Zephyr, directement concerné. Ses pensées étaient toutes dirigées pour le moment vers Erwan, son présent. S'il merdait une fois de plus, elle n'était pas sure de le supporter. Elle avait beau lui pardonner à chaque fois, elle ne pouvait nier que ça rongeait toujours un peu plus la confiance qu'elle avait en lui, en eux.
"Tu veux boire quelque chose ?" demanda-t-elle à Zephyr pendant qu'elle se servait un verre de vin.
Elle vint s'asseoir ensuite sur le canapé, luttant contre l'envie irrationnelle de fliquer son petit-ami. Elle espérait quelque part que ce soit Zephyr qui l'appelle pour lui dire qu'il était arrivé chez eux. Après tout, ils étaient censés passer la soirée ensemble.

« Non, il n'est pas là. Il m'a dit qu'il travaillait tard... » Et merde... Erwan n'aurait pas pu tomber plus mal. Il n'aurait pas pu être à l'heure, non ? Je n'avais aucune envie de me retrouver seul face à Skye. Je crois qu'il était impossible d'être plus mal à l'aise que moi à ce moment-là. Si, peut-être ma meilleure amie, qui m'avait l'air plutôt gênée. Si je croyais à ces histoires de flashforward, j'aurais été sûr qu'elle ait vu la même chose que moi... Mais étant donné que je n'y croyais pas une seule secondes, cela ne m'inquiétait pas plus que cela. J'aurais du pourtant. « Faut croire qu'il t'a oublié. T'es là pourquoi au fait ? » Elle me fit entrer et je me laissais tomber sur le canapé. Ouais, il m'avait bien oublié. J'étais tenté de dire "une fois de plus". Je ne savais pas ce qu'avait Erwan ces temps-ci, mais j'avais l'impression qu'il loupait de plus en plus nos rendez-vous. J'aurais du me douter qu'il ne serait pas là et rester bien sagement chez moi - ou sortir avec d'autres potes. J'aurais ainsi évité cette situation. « On avait décidé de sortir avec Erwan. » Je marquais une pause de quelques secondes et je levais les yeux sur Skye. Elle était toujours aussi jolie. Comme depuis que je la connaissais. Elle avait toujours été comme ça. Belle à vous en couper le souffle. Je me souviens encore que la majorité des garçons avaient flashés sur elle à l'époque ; ils avaient tous voulu que je leur arrange le coup. J'avais refusé. Je savais que Skye méritait mieux que les ordures qui trainaient autour de nous. Pour finir, elle avait eu Erwan. « On avait l'intention d'aller boire un verre dans un bar. Entre potes. » Je préférais préciser car j'avais appris avec le temps que Skye faisait partie de ces filles jalouses qui craignaient que leur petit ami les trompes dès que celui-ci parlait avec une fille. Bon. Connaissant Erwan, je devais avouer que mon amie avait effectivement du soucis à se faire. Je savais qu'il aimait sincèrement Skye. Cependant, je savais aussi qu'il serait incapable de renoncer à toutes ses amantes. C'était un amoureux des femmes ; il ne pouvait pas en avoir qu'une. Il les lui fallait toutes. Bon d'accord, peut-être pas à ce point-là. Mais plusieurs en tout cas. Il serait l'homme le plus heureux du monde le jour où la polygamie serait légale aux Etats-Unis. Bref, Erwan était mon meilleur ami, mais je n'acceptais pas qu'il aille voir ailleurs alors qu'il avait une petite amie comme Skye. J'admirais d'ailleurs cette dernière. Elle savait parfaitement que son petit ami était infidèle; elle l'acceptait et ne voulait pas le quitter. Une chose que je serais sans doute incapable de faire.
« Tu veux boire quelque chose ? » Ma meilleure amie m'avait rejoint sur le canapé et était en train de se servir un verre de vin. Je ne répondis pas tout de suite. J'étais encore plus mal à l'aise. Un canapé et de l'alcool - heureusement, ce n'était que du vin. Cela me rappelait une fameuse nuit, à Las Vegas. Celle durant laquelle nous nous étions mariés. Arrête de divaguer, Zeph. Cette nuit appartient à ton passé, arrête d'y penser ; ça ne t'apportera rien de bon. « Je prendrais bien un verre de vin, ouais. S'il te plait. » J'avais le temps, de toute manière. Erwan n'allait sûrement pas arriver de sitôt, puisqu'il avait annoncé à sa petite amie qu'il rentrerait tard. J'espérais qu'il ne soit pas en "bonne compagnie" à cette heure-ci. Même si c'était sûrement ce qu'il se passait en ce moment-même. Pris d'une impulsion, je décidais de l'appeler. Non seulement pour savoir où il était, quand est-ce qu'il arriverait - je pourrais ainsi me sauver et arrêter de penser à ce rêve, ainsi qu'à mon pseudo mariage - mais également pour être sûr qu'il ne trompe pas Skye une fois de plus. Je pris mon téléphone portable et composait son numéro. Je tombai sur son répondeur. Erwan restait injoignable. Je me retins de soupirer. Il fallait vraiment qu'il arrête de jouer au con. Mon meilleur ami avait bien changé ces derniers temps. J'avais plus de mal à le comprendre, à le cerner. Et je me demandais bien les raisons de son changement. « Erwan ne répond pas... » Traduction : j'allais devoir rester encore plus longtemps seul avec Skye, je ressentirais toujours ce malaise au fond de moi, certains souvenirs allaient rester dans mon esprit jusqu'à ce que je quitte l'appartement. Bref, ça allait être génial... Je m'enfonçais dans le canapé, l'air pensif. Il fallait trouver un sujet de conversation ; je n'avais aucune envie que le silence s'installe entre nous. La situation serait encore pire. « Et toi, tu as prévu quelque chose ce soir ? » Banal. Mais rien d'autre ne m'était venu en tête à ce moment-là. J'étais bien trop occupé à fulminer mentalement contre mon meilleur ami.

Avec tout ça, Skye avait pratiquement oublié qu'on était vendredi. Et comme presque un vendredi sur deux, Zeph et Erwan s'étaient donné rendez-vous pour sortir dans un bar. Elle avait une totale confiance en Zephyr et elle savait qu'il empêcherait Erwan de faire des bêtises alors ce genre de soirées entre mecs ne la dérangeait pas. Elle sourit, comme souvent, pour faire mine que tout allait bien. C'était si simple de sourire, au fond. Mais elle était bouffée par une peur inavouable parsemée de colère et une seule question tournait en boucle dans sa tête : où est Erwan ? Elle n'aimait pas que Zeph la voit ainsi. Quelque part, il les imaginait comme le couple parfait et faisait son maximum pour se réjouir de leur bonheur. Mais plus le temps passait, plus Skye doutait que ce bonheur si parfait puisse un jour arriver. Aussitôt, elle revit avec Zeph, dans cette chambre. Elle se souvenait encore de cette sensation de bien-être qui l'envahissait alors. Et si finalement, c'était la fin annoncée de son couple qui ne tenait plus qu'à un fil ? Le regard de Zeph croisa le sien, la ramenant aussitôt à la réalité. Elle but une longue gorgée de vin pour se ressaisir. Il fallait qu'elle arrête de divaguer de la sorte. Elle aimait Erwan, il l'avait aidée quand elle en avait eu besoin, soutenue quand elle était mal en point. C'était un peu un point fixe auquel elle savait qu'elle pourrait toujours se raccrocher.

Son sang ne fit qu'un tour quand elle l'entendit dire que son petit-ami ne répondait pas. Elle tenta de positiver, l'imaginer en réunion, quelque chose comme ça. Elle devait arrêter de se faire des films. Elle entendit d'une oreille la question de Zeph et y répondit d'un air plus détaché qu'elle ne l'aurait voulu :
"Oh pas grand chose... Je suis censée travailler à la maison, vu qu'on n'a plus de locaux avec... tout ça."
Elle se tut et le fixa, dans une tentative vaine de le sonder, tenter de deviner ce qu'il avait vu, s'il avait vu la même chose qu'elle. Elle se pinça rapidement la lèvre en détournant le regard. Ils avaient beau faire, leur relation avait changé depuis cette fameuse nuit à Las Vegas. Ils ne s'étaient jamais vraiment expliqués, comme s'ils avaient peur des sentiments qu'ils pouvaient éprouver l'un pour l'autre. Parfois Skye se demandait comment Erwan avait fait pour ne rien remarqué... Peut-être parce que justement ça lui semblait bien trop gros... Ils avaient tous deux conscience qu'ils l'avaient trahi et elle avait l'impression de l'avoir trahi une nouvelle fois en ayant eu cette vision. Mais pourquoi, merde ? Tout ça n'était pas encore arrivé. Non, tout ça n'arriverait pas. L'avenir n'était pas un truc figé et peut-être qu'avoir cette vision pourrait lui permettre de ne pas faire cette erreur. Elle but une nouvelle gorgée de vin et, décidée à rompre le silence pesant qui s'était installé, elle parla du premier sujet de conversation qui lui vint à l'esprit :
"T'en penses quoi, toi, de cette histoire de flashforward ?"
Quelle conne. Elle abordait exactement le sujet qu'elle voulait éviter. En toute logique, la suite serait "Oh, et toi, t'as vu quoi ?". Tout le monde demandait ça en ce moment, comme si c'était un genre de nouvelle mode. Elle faisait son possible pour éviter d'en parler, d'habitude, et là, elle lançait le sujet... Elle sourit aussitôt et s'empressa d'ajouter :
"J'veux dire, tout le monde parle que de ça. Et puis le nombre de morts... C'est étrange, comme si le temps était à présent suspendu, tu vois ?"

Elle l'écouta parler distraitement. Son esprit tournait en rond, passant de Zeph à Erwan, de son hypothétique futur à son présent. Elle avait décidé de croire au présent mais, que se passerait-il si Erwan croyait, lui, à cette vision qu'il avait vu ? Qu'il faisait tout, en ce moment même, pour qu'elle se réalise, la précipitant ainsi, sans le vouloir dans les bras de Zeph ? Elle se dit que quelque part ça crèverait l'abcès si elle avait une discussion sérieuse avec chacun des deux. Mais elle devait être bien trop lâche pour ça puisqu'elle ne parvient qu'à dire soudainement, coupant au passage Zeph :
"Tu crois qu'il me trompe ?"
Elle fut surprise elle-même d'avoir demandé cela. Mais elle avait sûrement dû formulé cette crainte, ce malaise qu'elle avait tenté d'enfouir, quelque part bien au fond, puisqu'elle sentit aussitôt les larmes lui monter aux yeux. Elle n'était pas certaine de le supporter encore une fois. Elle avait beau lui pardonner à chaque fois, tenter de comprendre ce qui le poussait à voir ailleurs, la vérité, c'était qu'elle ne l'encaisserait pas à vie. Elle espérait qu'il change à chaque fois et chaque fois elle était déçue. Alors, non, pas maintenant. Faites qu'il ne fasse pas cette erreur maintenant.

Je bus une gorgée de vin et manquait presque de m'étouffer lorsque j'entendis me demander ce que je pensais de ces flashforward. Qu'étais-je censé lui répondre ? "Tu sais, je ne crois pas spécialement à ce genre de choses. Après tout, quelle probabilité y a-t-il pour que nous finissions dans le même lit" ? Sûrement pas. Plus longtemps on éviterait d'en parler, mieux je me porterais. Si vraiment ces flashs étaient des visions de l'avenir, je ne pense pas que Skye veuille que ce que j'ai vu se réalise. Elle tenait bien trop à Erwan pour ça. Et moi, je tenais à eux. Je n'avais aucune intention de les mettre mal à l'aise d'une façon quelconque.
Je m'apprêtais à baratiner une réponse pour ne pas avoir à raconter mon rêve, lorsque mon amie reprit la parole, comme si elle voulait - elle aussi - éviter le sujet. Avait-elle vu la même chose que moi ? Non, sûrement pas. C'était impossible. Pourquoi rêverait-elle d'une chose pareille ? « J'veux dire, tout le monde parle que de ça. Et puis le nombre de morts... C'est étrange, comme si le temps était à présent suspendu, tu vois ? » Je ne répondis pas tout de suite, au cas où elle ait encore quelque chose à ajouter. Je comprenais ce qu'elle voulait dire par là et, de mon point de vue, elle n'avait pas tort. « Ouais, je vois. C'est vrai que tout le monde en parle. Comme si le monde tournait autour de cette histoire... » Et c'était vraiment ridicule. Peut-être que je disais ceci parce que je ne croyais pas à ces "visions prémonitoires", mais quel intérêt de parler de ça vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept ? Le monde continuait de tourner malgré ce blackout. Alors pourquoi les gens s'attardaient-ils sur cette histoire ?

Je bus une nouvelle gorgée de vin et fermais les yeux un moment. Ce n'était vraiment qu'un rêve, pas vrai ? C'était impossible de voir le futur, non ? Nous étions de simple humains, pas des dieux, alors pourquoi le pourrions-nous ? Un soupire s'échappa de mes lèvres. Il fallait que j'arrête de réfléchir à cette histoire. Je me prenais la tête pour rien. Pour des divagations de mon esprit, voilà tout. Pour un stupide rêve.
J'ouvris à nouveau les yeux, et je les posais sur Skye, qui semblait perdue dans ses pensées. Rêve ou pas, je me demandais tout de même ce qu'elle avait bien pu voir. J'aurais aimé savoir ce qu'elle avait vu, mais j'étais persuadé qu'elle ne voudrait pas me le dire. S'il s'agissait d'un truc banal, elle me l'aurait sans doute déjà dit. Ca devait être beaucoup plus que ça. Je me mordis la lèvre inférieure. Il fallait que je le lui demande. Ma curiosité me poussait à le faire « Skye, qu'est-ce que... » « Tu crois qu'il me trompe ? » Elle m'avait coupé la parole. Je conservais le silence plusieurs secondes durant. Elle n'avait vraiment pas l'air dans son assiette. Tout ça à cause d'Erwan. Elle se prenait la tête ; elle se demandait sûrement où il était et pourquoi il n'était pas encore rentré. Je ravalais difficilement ma salive. Je détestais la voir dans cet état-là. S'il te plait Erwan, rentre. Skye a besoin de toi. Je sentais que mon amie était à deux doigts de pleurer. Elle en avait assez de cette situation. Elle n'en pouvait plus, cela se voyait. Et moi, j'en avais assez de la voir souffrir.
Je l'attirais vers moi et la serra dans les bras - sans aucune arrière pensées. Que devais-je lui dire ? Je n'avais jamais vraiment été doué pour ce genre de choses ; c'était Erwan qui était là pour elle lorsqu'elle en avait besoin habituellement. Jamais elle n'était venue me raconter ses problèmes. Comme si elle se forçait à sourire et à faire comme si tout allait bien lorsque nous étions ensemble. Cette fois, Erwan était le problème, elle ne pouvait pas directement lui en parler. Il était absent et connaissant sa tendance à aller voir ailleurs, il était possible qu'il soit avec une autre fille... « Je ne sais pas, Skye. Je ne sais pas. » Au fond de moi, j'étais persuadé qu'il la trompait en ce moment même. Cependant, j'étais incapable de le lui avouer. Skye allait déjà bien assez mal comme cela, sans que j'en rajoute une couche. Et je ne pouvais pas non plus lui dire que c'était faux ; c'était un mensonge bien trop gros.

"Je ne sais pas". C'était bien la dernière chose qu'elle avait envie d'entendre. Il l'avait prise dans ses bras et ce qu'il dit l'acheva. Il ne savait pas ? Ça sonnait comme un oui à ses oreilles. Elle tenta vainement de retenir ses larmes, jusqu'à ce qu'une boule lui serre la gorge. Un sanglot libéra ses larmes sans qu'elle puisse lutter. Elle aurait aimé être dans les bras d'Erwan plutôt que dans ceux de Zephyr. Elle aurait aimé qu'il soit là, avec elle. Qu'il la comprenne. Pourquoi n'était-il pas là quand elle avait besoin de lui ? Elle devrait se contenter de Zephyr, tant pis pour la vision qu'elle avait eue. Elle mourait d'envie qu'il la comprenne, soit tout ce qu'Erwan n'était pas. Mais une petite voix en elle redoutait les sentiments que cela pourrait lui inspirer. Ou plutôt, faire renaître en elle des sentiments qui avaient existé lorsqu'ils s'étaient connu. Elle ignora cette voix pour le moment, restant dans les bras de son ami, à pleurer comme une madeleine. Elle aurait presque eu honte si elle avait eu le recul pour porter un regard critique sur la situation. Elle n'avait jamais laissé personne ou presque rentrer dans son jardin secret. Elle avait appris depuis si longtemps à garder une distance de sécurité avec tout le monde, y compris des amis proches comme Zephyr. Il était son ami mais aussi et surtout le meilleur ami d'Erwan : elle ne voulait en aucun cas qu'il serve d'intermédiaire entre eux deux. Ou pire. En l'occurrence, elle avait tout fait pour qu'il ne se retrouve pas mêlé à leurs histoires de couple. Mais toutes ces questions qui tournaient dans sa tête, la tension qui pesait partout, l'avaient fait céder et oublier ses bons principes. Elle crevait d'envie de tout lâcher. A quel point elle n'en pouvait plus de l'attitude d'Erwan. Comment elle ne se reconnaissait plus dans l'attitude qu'elle avait parfois. Pourtant elle se contenta de pleurer dans le tee-shirt de Zeph, s'accrochant à lui comme un chat à sa pelote de laine. Elle le lâcha au bout de quelques minutes, essuya ses larmes et le mascara qui avait coulé sur ses joues d'un geste de la main. Elle expliqua, encore secouée par quelques sanglots :

"J'en peux plus, Zeph... Pourquoi il fait ça ? Pourquoi ?"

Elle n'attendait pas qu'il puisse répondre à cette question. C'était plus un besoin d'exorciser ce qu'elle ressentait. Peut-être parce que ça la soulagerait. Peut-être parce qu'elle avait gardé ce fardeau pour elle depuis trop longtemps. Mais là, elle déballait tout. Si ça avait été Erwan, ça se serait certainement terminé en une engueulade monstrueuse. Mais c'était sur le pauvre Zephyr que ça tombait. Elle soupira pour tenter de se calmer et poursuivit :

"Je suis désolée de venir avec ça maintenant mais c'est juste que... J'sais pas, j'ai l'impression de penser qu'à ça. C'est fatigant tu vois..."

Elle ne l'avouerait jamais mais la vision qu'elle avait eu la faisait douter sur son couple. Avait-elle bien fait de se laisser marcher dessus pendant toutes ces années ? Est-ce que ça en valait la peine, au fond ? Elle n'était plus sure de rien. Elle avait parfois envie de passer son cerveau en mode "off". Mais c'était impossible, malheureusement. Elle essuya une nouvelle fois les larmes qui continuaient à couler le long de son visage. Elle avait décidé d'être forte, de supporter tout ça, parce qu'elle était persuadée qu'Erwan changerait. Mais elle n'en était pas si sure. Elle n'était pas aussi forte que ça. Et Erwan ne semblait vouloir faire aucun effort. Et puis, par dessus tout, ce qu'elle avait vu. Elle ne l'aimait plus. Elle avait décidé de lâcher. Quelque part, cela lui laissait croire que leur couple n'avait aucun avenir, qu'il ne changerait jamais.

"A chaque fois, il me promet qu'il va changer. Et à chaque fois, il recommence. J'arrive plus à le croire surtout..."

Elle se stoppa net. Surtout quoi ? Qu'elle s'est vue amoureuse de Zephyr ? Qu'elle était alors résignée ? Elle avait décidé de ne pas croire en ce futur, de le changer. Mais face à Zephyr, Erwan désespérément absent, elle n'était plus aussi certaine. Elle se demandait si Erwan avait vu quelque chose qui ne le fasse plus croire en eux non plus. Si c'était le cas, cela signifiait certainement la fin annoncée de leur couple. Tout ça pour une putain de vision. Elle avait l'impression que plus elle luttait pour qu'elle n'arrive jamais, plus elle se précipitait en plein dedans.

Skye resta un bon moment dans mes bras, accrochée à moi, à pleurer. Elle avait peur. Elle était au bout du rouleau. Elle n'en pouvait plus de toutes les infidélités d'Erwan. Je restais silencieux un moment, le temps qu'elle finisse de verser ses larmes. Je ne savais pas quoi dire. Je ne savais pas quoi faire. J'avais toujours été en dehors de leurs histoires de couple et aujourd'hui, je me retrouvais sur le canapé d'Erwan et Skye, à sécher les larmes de mon amie. Une première pour moi. Je savais bien qu'elle était au courant de toutes les infidélités d'Erwan - je l'avais vite compris - et je savais aussi que, malgré tout, elle s'accrochait à lui et ne voulait pas le quitter - c'était d'ailleurs pour ceci que je doutais que mon "flash" ne se réalise. Erwan m'avait souvent parlé de leurs soucis lorsque ça n'allait pas fort entre eux. Skye jamais. Et aujourd'hui, je découvrais comment elle était vraiment : sensible, et torturée rien qu'à l'idée de penser à ce que faisait son copain en ce moment-même.
Au bout de quelques minutes, elle me lâcha et, les yeux encore mouillés, elle balaya d'un geste de la main les larmes et le maquillage qui étaient sur ses joues. Elle qui était toujours souriante, toujours joyeuse. Je n'aurais jamais imaginé la voir dans cet état-là un jour. Je savais qu'il était difficile pour une fille de sortir avec Erwan, d'endurer toutes ses infidélités. Je savais qu'Erwan l'aimait. Skye également. Cependant, il fallait vite que mon meilleur ami se rende compte de ses erreurs et change sa façon de faire. Sinon, j'avais bien peur qu'il perde la seule fille qu'il ait jamais vraiment aimé.
Perdu dans mes pensées, je me retins un soupir. Erwan était quand même un beau salop. Lorsqu'on avait une copine comme Skye, on en prenait soin. Au lieu de passer son temps à aller voir ailleurs. « J'en peux plus, Zeph... Pourquoi il fait ça ? Pourquoi ? » Je restais muet. Je ne pensais pas qu'elle attende de réponse. Elle savait très bien que je ne pourrais pas répondre à cette question : je n'approuvais pas les relations qu'Erwan pouvait avoir dans le dos de Skye ; il savait ma position et évitait de m'en parler d'ailleurs alors il était impossible que j'en connaisse la raison. Je ne comprenais pas son comportement. « Je suis désolée de venir avec ça maintenant mais c'est juste que... J'sais pas, j'ai l'impression de penser qu'à ça. C'est fatigant tu vois... » « Ne t'excuses pas. » Je marquais une pause. J'aurais souhaité parler de manière plus posée, mais j'étais presque énervé de voir Skye dans cet état-là alors qu'Erwan n'était pas là. Après toutes ses années, n'avait-il pas compris qu'il valait mieux arrêter d'aller voir ailleurs ? N'avait-il pas remarqué à quel point son comportement blessait sa copine ? Décidément, Erwan ne comprenait rien à rien... Il avait plutôt intérêt à ne pas mettre le pied chez lui ce soir avant que je ne quitte l'appartement. « Ta réaction est tout à fait compréhensible. » Je m'enfonçais dans le canapé, sans réussir à m'arrêter de réfléchir. Mais que faisait donc Erwan ? Etait-il vraiment avec une autre fille ? Pour moi, c'était l'explication la plus logique. Cependant, je ne voulais pas y croire. Je ne pouvais pas. J'espérais vraiment qu'il soit à son boulot en train de finir ce qu'il avait à faire. Je me mordis la lèvre inférieure. Il ne pensait sans doute pas que j'allais débarquer chez lui aussi tôt et que je fasse douter Skye. Dans ce cas, il n'avait qu'à annuler notre sortie. Au lieu de torturer mon amie de cette manière. Vraiment, je ne comprenais pas les agissements d'Erwan...
« A chaque fois, il me promet qu'il va changer. Et à chaque fois, il recommence. J'arrive plus à le croire surtout... » Ah oui, ses fameuses promesses. Celles qu'il ne tenait que rarement. Celles dont il se servait pour que l'on ait à nouveau confiance en lui. Une belle arnaque. Combien de fois m'avait-il fait le coup ? Une bonne vingtaine. Je m'abstins tout de même de le dire; je ne voulais pas empirer la situation. Je comprenais qu'elle avait du mal à le croire à présent, surtout que... Surtout que quoi, au juste ? « Surtout? » Je n'imaginais pas une seule seconde ce à quoi Skye pouvait bien penser. Cette question m'avait donc semblé logique, justifié.